Alain Giresse est bien connu en Afrique. L’ancien joueur de Bordeaux qui a marqué l’histoire du championnat et de l’équipe de France, a réussi sa reconversion en tant qu’entraîneur. Le technicien de 71 ans a dirigé dans sa carrière des sélections africaines notamment le Gabon, le Sénégal, le Mali et la Tunisie. Dans cette interview exclusive accordée à  Africatopsports, il revient sur son passage en Afrique, se prononce sur la CAN 2023, parle de ses relations avec les joueurs africains, non sans oublier d’évoquer un possible dans le continent africain.

ATS : Vous avez entraîné beaucoup de sélections africaines, laquelle vous a le plus marqué?

A.G : Toutes les sélections que j’ai eu sur le continent m’ont marqué sur des aspects totalement différents. Le Gabon avec une grosse mentalité des joueurs qui avaient envie de découvrir le haut niveau, le Mali, un foyer de joueurs aux qualités certaines, le Sénégal avait un gros potentiel, tout comme la Tunisie aussi. Je ne peux pas dire qu’il existait une différence entre ces équipes, mais j’ai gardé de très bonnes relations avec tous ces pays et ses joueurs et leurs fédérations.

ATS : Quelles sont les particularités de l’Afrique auxquelles vous avez été confronté, quand on sait que ce n’est pas aussi bien organisé qu’en Europe ? 

Quand j’ai découvert l’Afrique, notamment le Gabon, je me suis rendu compte tout de suite qu’en termes d’organisation par rapport au football de haut niveau au professionnalisme il fallait aider les joueurs africains qui venaient des différents championnats à répondre à ce que réclame une organisation d’équipe nationale. Je l’ai fait, ça s’est bien déroulé dans tous les pays où je suis passé. Progressivement ça s’est mis en place et on voit maintenant que c’est très avancé. Avant il n’y avait pas toutes cette rigueur nécessaire que le haut niveau réclame, maintenant les choses sont passées à une dimension supérieure. Il a fallu que je m’adapte à ce qui a été fait et j’ai compris après qu’on pouvait mettre en place ce qui était nécessaire pour l’équipe nationale.

ATS : Comment trouvez-vous le niveau des équipes présentes à la prochaine CAN?

A.G : Le niveau des équipes à la CAN s’élève chaque année. Ça progresse partout maintenant avec de grands joueurs majeurs qui évoluent dans les grandes équipes européennes. Les petits pays comme on dit, lors de la dernière édition on a vu qu’ ils ont posé beaucoup de problèmes aux ténors. Des progrès peuvent être constatés dans tous les pays et ça donne un niveau supérieur chaque année à la CAN.

ATS : Le président du Bayer Leverkusen a récemment menacé de saisir la Fifa à propos du timing de la CAN, pensez-vous qu’elle se joue au mauvais moment?

A.G : J’avoue que c’est le problème de la CAN de se jouer en même temps que les grands championnats. Surtout comme je disais toutes les grandes équipes possèdent dans leurs effectifs des joueurs africains très importants. Quand ils partent pour un mois c’est un problème. Je l’ai vécu moi, j’ai eu des problèmes avec des entraîneurs qui ne voulaient pas libérer leurs joueurs africains. Des entraîneurs qui étaient pris entre les deux. Des joueurs qui quelques fois au retour d’une CAN avaient perdu leur place en clubs parce qu’ évidemment un autre joueur avait pris sa place. En 2019 nous n’avons pas eu ces problèmes quand la CAN s’est déroulée en juin. Malheureusement,  il y aura encore pour cette CAN des tiraillements entre les clubs, leurs joueurs et les fédérations africaines.

ATS : Quels sont vos favoris pour cette année?

A.G : Je ne vais pas être original, quand on voit que tous les grands pays sont là. On ne peut pas dire qu’il manque un grand pays du football africain. Je pense que le Sénégal, le Maroc, le Nigéria, l’Algérie, la Côte d’Ivoire ont tous un grand potentiel. Cette CAN sera très très disputée. Je ne vois pas un pays qui soit habitué au haut niveau  remporter cette CAN. Mais je pense que les pays qui ont l’expérience de gagner des titres d’abord dans cette compétition peuvent être considérés comme les favoris.

Alain Giresse avec la Tunisie lors de la CAN 2019

On note l’ascension de certains petits poucets, croyez vous qu’ils peuvent bousculer la hiérarchie et créer la surprise à la CAN 2023?

A.G : Les petits poucets comme on les appelle, je les vois réaliser une bonne CAN, qu’ils nous surprennent agréablement, mais je ne les vois pas gagner le titre.

ATS : Quelle est la CAN qui vous a le plus marqué en tant que sélectionneur  ?

A.G : Quand on est engagé dans une compétition, celle qui nous marque le plus est celle  où l’on obtient les meilleurs résultats. La sélection qu’on dirige joue aussi sur  le niveau des résultats. En 2010 avec le Gabon on a réalisé une bonne CAN, bien qu’on a été battu au nombre de buts. Un manque de réussite, mais je dirais que c’est quasiment une réussite. Avec le Mali on est monté sur le podium après quarante ans. Rien que cela, c’est un aboutissement. Aussi quand on atteint la demi-finale avec la Tunisie ce sont des résultats qui sont probants. Les bonnes performances sont toujours liées à la qualité de l’équipe aussi.

ATS : On sait qu’en Afrique, le politique n’est jamais très loin du sportif. Avez-vous déjà vécu ou subi des interventions politiques dans l’exercice de vos fonctions ?

A.G : Non je n’ai pas subi d’interventions politiques directes. J’avoue qu’il y a eu quelques fois des tentatives qui ont existé, mais je suis resté toujours droit dans mon honnêteté professionnelle en estimant que j’aligne l’équipe qui me semblait la plus performante avec les joueurs qui pouvaient répondre à l’attente des résultats. Par contre, j’ai eu des facilités par le biais des Chefs d’Etats ou des politiques qui accompagnent et encouragent les équipes nationales. C’est toujours agréable de sentir qu’on est soutenu,  surtout avant de partir en compétition, lorsqu’on reçoit le drapeau des mains du Chef d’Etat d’un pays. C’est un bon réconfort pour les joueurs.

Alain Giresse avec le Sénégal lors de la CAN 2015

ATS : Le Sénégal peut-il encore conserver son titre?

A.G : Bien-sûr ! Le Sénégal avec le potentiel de joueurs qu’il a, peut prétendre encore au titre. Mais il sera très attendu évidemment, c’est normal. On ne va pas lui faire de cadeaux. Mais aussi dans une équipe tout le monde doit être conditionné pour le titre, tout le monde doit s’investir. Après voilà ça reste le football et ça se joue sur des détails. Mais sur le potentiel de l’effectif oui, le Sénégal a vraiment la dimension d’une équipe qui peut vraiment gagner la CAN.

ATS : Comment analysez-vous la ruée de certains joueurs africains vers les pays du Moyen-Orient particulièrement l’Arabie Saoudite?

A.G : Il n’y a pas que des joueurs africains, il y a des joueurs européens sud-américains qui partent dans ces pays-là. Pour certains c’est au terme d’une carrière pourquoi pas, pour d’autres c’est en pleine carrière. Ce sont des choix pour aller découvrir d’autres compétitions et apporter toutes leurs compétences à faire progresser le football de ces pays. Aussi il y a des données financières non négligeables pour les joueurs aussi. Après, il est toujours difficile de juger. Il ne faut pas se mettre à la place des joueurs. Ils ont leurs propres raisons pour aller vers ces destinations. Et force est de constater que c’est aussi l’ouverture du football dans tous les continents.

ATS : L’argent a-t-il pris le dessus sur la passion du jeu ?

A.G : L’argent évidemment compte énormément. Il ne faut pas se voiler la face. Après le terrain ça ne se matérialise pas par les équipes qui ont plus de moyens. On voit aujourd’hui des clubs qui investissent énormément mais qui n’ont pas la garantie d’avoir des résultats parce que le terrain reste le terrain avec ses matches, ses mises en place, ses équipes, la qualités des joueurs, l’organisation, etc… C’est le jeu qui détermine quand même le succès de l’équipe et non pas le pouvoir économique qui fait la différence.

ATS : Quel joueur africain que vous avez entraîné vous a t-il le plus marqué?

A.G : J’ai eu la chance d’avoir des joueurs d’abord sur le plan mental comme professionnel qui étaient  irréprochables avec des qualités différentes dans tous les pays où j’ai entraîné. Évidemment je peux citer l’exemple de Sadio Mané qui a été double ballon d’or africain. C’est un joueur d’une dimension exceptionnelle. Un garçon comme Seydou Keïta au Mali, Pierre-Emerick Aubameyang du Gabon, ont été des joueurs marquants parce que c’est de la haute qualité et on en trouve rarement maintenant. En ce qui concerne l’ensemble des joueurs j’ai gardé de bons souvenirs d’eux et leur engagement était total. Je n’ai pas eu trop de problèmes de gestion pour diriger ces joueurs dans les diverses sélections.

Alain Giresse avec le Mali en 2017

ATS : Partagez-vous l’avis de ceux qui prétendent que cette CAN sera la plus difficile de l’histoire?

A.G : Oui certainement, chaque année le niveau progresse. Aujourd’hui quand on voit le niveau de la CAN c’est une grande compétition qui va être suivie dans le monde entier. Ça va être compliqué et le vainqueur aura beaucoup de mérites après avoir remporté ce titre.

ATS : Pensez-vous un jour revenir en Afrique pour entraîner une sélection ou un club?

A.G : Oui pourquoi pas (rires). J’ai toujours envie. Ce continent, je l’ai découvert et je l’ai apprécié. Franchement j’ai gardé un attachement c’est sincère et c’est réel. Vous pouvez le constater sur la façon dont je suis perçu dans les différents pays où je suis passé. Dans chaque pays, j’ai apporté mon expertise, ma compétence. Je me suis investi totalement pour faire progresser les équipes que j’ai dirigées.Mais je reconnais qu’il y a eu des résultats qui ont été plus ou moins importants. Mais si l’opportunité se présente encore, pourquoi pas revenir sur le continent africain.

ATS : Quels sont vos meilleurs souvenirs de l’Afrique? Et les mauvais aussi?

A.G : Les meilleurs souvenirs je l’ai dit au niveau des résultats quand on monte sur le podium c’est déjà significatif. Les plus mauvais, ce sont notamment quand on échoue. En 2015, avec le Sénégal malheureusement on n’est pas sorti du groupe. J’ai eu des regrets parce que le potentiel était là. Elle n’avait pas atteint sa dimension totale cette équipe du Sénégal, mais elle était en pleine progression. Mais j’aurai aimé en faire plus. Malheureusement cela ne s’est pas réalisé. Après le plus beau souvenir aujourd’hui c’est ce qui reste de mes passages. Je n’ai pas laissé de ruines dans toutes les sélections où je suis passé. D’ailleurs en ce qui concerne le Sénégal, Aliou Cissé avait souligné après la demi-finale qui avait opposé le Sénégal à la Tunisie à la CAN 2019, qu’il s’est basé sur le travail que j’avais mis en place pour continuer. C’est un bel hommage qu’il m’avait rendu et j’en suis toujours très touché. Mais en gros je ne garde que de bons souvenirs de mes passages en Afrique.

Les Aigles du Mali célèbrent avec leur entraîneur Alain Giresse après la victoire contre les Black Stars du Ghana en match disputé pour la troisième place de la CAN 2012 à Malabo, en Guinée Equatoriale.

ATS : Quelle nation allez-vous supporter à la CAN?

A.G : Vous me demandez quelque chose de difficile parce que j’ai des relations dans tous les pays où je suis passé. Je suis parti en de bons termes,  il n’y a pas de problèmes particuliers avec ces différents pays. Je vais les suivre principalement. Évidemment, les forces et les potentialités ne sont pas les mêmes. Tous les pays sont différents. Après le reste, je verrai au fur et à mesure de la compétition. Si l’une de mes anciennes équipes arrive au bout, je serai derrière elle comme je l’ai fait lors de la finale de la CAN 2021 avec le Sénégal.

ATS : Beaucoup de sélections africaines sont dirigées par d’anciens joueurs, est-ce la fin du règne des sorciers blancs sur le continent? 

A.G : Oui maintenant on voit que ce sont les entraîneurs africains qui sont à la tête des sélections. Mais comme les joueurs, les entraîneurs progressent et ont de l’expérience aussi. Ils ont étudié et ont passé leurs diplômes. Ils connaissent le football, parce que ce sont tous d’anciens joueurs.  Il n’y a rien de choquant là-dessus. Mais d’autres entraîneurs européens peuvent toujours venir. Ça peut exister toujours dans des conditions bien particulières. Le football africain progresse bien dans son organisation, dans ses structures, dans la qualité de ses joueurs et de ses entraîneurs. On est dans l’avancée du football dans tous les domaines

ATS : Votre dernier mot?

A.G : Je suis très content de parler de ce continent. Je reste très attaché à l’Afrique.D’ailleurs, je garde toujours des liens avec tous les pays où je suis passé. Cela m’a marqué. Et ce sont des moments importants dans ma vie je le dis. Le continent africain m’a adopté avec beaucoup de simplicité et d’humilité et ça me fait plaisir.

 



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